mardi 13 décembre 2016

Syrie. Alep, un trophée russe


Le temps médiatique est cruel. Alep, la deuxième ville de Syrie, se meurt depuis des mois et l'agonie de ses habitants ne nous parvient que par intermittence. | AFP

Laurent MARCHAND.

Le temps médiatique est cruel. Alep, la deuxième ville de Syrie, se meurt depuis des mois et l'agonie de ses habitants ne nous parvient que par intermittence. C'est désormais une question de jours, d'heures. Alep va tomber, reprise brutalement par le régime de Bachar al-Assad et ses soutiens : l'armée russe et tout un groupe de milices venues de l'étranger (Liban, Iran, Irak...).

Alep se meurt et se vide sous une pluie de munitions. Assad et Poutine ont employé la méthode qui permit à l'armée russe de « nettoyer » Grozny, la capitale tchétchène, dans les années 2000. Pas de quartier, pas de négociation. On fait table rase pour éliminer l'ennemi. Même si le faux ennemi, Daech, reprend Palmyre pendant ce temps.

Impuissance de l'Occident

L'intervention russe, à l'automne 2015, avait déjà permis à Assad de sauver Damas, et sa tête. La chute d'Alep rend désormais viable la naissance d'une « Syrie utile », comprenant les deux premières villes du pays. Un cycle s'achève, commencé au printemps 2011 avec les premières contestations du régime. Un cycle durant lequel l'Occident a étalé son impuissance, et la Russie les signes de reconquête.

La répartition des rôles est à la lumière du jour. Samedi matin, la coalition anti-Damas était réunie à Paris. États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Allemagne, Turquie, Arabie Saoudite, monarchies du Golfe. L'Occident plus le camp sunnite, en somme. Des pays qui ont armé les groupes rebelles, certains djihadistes, opposés à Assad. Sans jamais, pour autant, franchir le pas d'une intervention armée décisive. Même lorsque la ligne rouge des armes chimiques était franchie par Assad, en août 2013.

Révision stratégique

L'autre camp, c'est au front qu'il est visible. La reprise d'Alep, comme la défense de Damas, aurait été impossible pour Assad sans le soutien russe. Et sans celui des combattants du Hezbollah libanais, des Pasdaran iraniens (corps des Gardiens de la révolution islamique), des milices afghanes et irakiennes. L'arc chiite, en somme, dont on parle depuis quelques années, et que l'intervention russe structure désormais comme un terrain de jeu et d'influence.

L'impuissance occidentale tient à plusieurs facteurs. Le tournant du conflit syrien, ce fut l'été 2013. La passivité américaine fit comprendre à tous les acteurs que Washington n'interviendrait plus. Les crimes de guerre d'Assad n'étaient pas une raison suffisante. Obama enterrait le devoir d'ingérence humanitaire. Ce que Moscou comprit immédiatement comme un laisser-faire. Non démenti depuis.

« Assad doit partir » tourne en boucle

Entre les remords suscités par le massacre de Srebrenica en Bosnie en 1995, et l'abandon d'Alep en 2016, l'Occident a durant vingt ans fait de la compassion et de l'humanitaire un critère dominant d'analyse et de rhétorique. Et lu le printemps arabe comme une force devant chasser les dictateurs et légitimer ce principe. C'est en son nom que Kadhafi fut renversé à l'automne 2011. C'est en son nom que l'incantation « Assad doit partir » a tourné en boucle depuis.

Assad n'est pas parti. L'Occident ne s'est pas donné les moyens de le chasser. Or, la compassion impuissante, c'est exactement l'envers du disque dur de Poutine. Il déteste l'ingérence humanitaire et vénère la force. Au printemps 2011, le Premier ministre Poutine était hostile aux changements de régime. Matignon le savait, sans doute. Aujourd'hui, le sang d'Alep consacre sa stratégie. Pour l'Occident, c'est moins une tentation russe qu'un « retour sur expérience » diplomatique que ce drame doit inspirer.

Seizure of Sheikh Saeed & Saliheen followed night of most intense bombardment of war. And #Aleppo civilians helpless #Syria (map: @guardian) pic.twitter.com/COQAn8pXZO
— Jon Williams (@WilliamsJon) 12 décembre 2016


(ouest-france.fr)
Publié le 13/12/2016



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