samedi 26 novembre 2016

Des «Rencontres Capitales» pour s'interroger sur le sens du progrès


Par Tirthankar Chanda Publié le 25-11-2016


Catherine Bréchignac est spécialiste de la physique de l'atome et secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences de France. Archives personnelles


Les 26 et 27 novembre 2016, à l’occasion de ses 350 ans, l’Académie des sciences accueille à Paris, au Palais de l’Institut de France, la IVe édition des Rencontres capitales, consacrée cette année à la thématique du progrès. Une cinquantaine de personnalités issues du monde intellectuel mais aussi de la politique, de la recherche et la technologie et des arts participeront à ces débats organisés en tables rondes. Rencontre avec Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences.

RFI : « Redonner du sens au progrès » est le thème de l’édition 2016 de Rencontres capitales. Est-ce que c’est vous qui avez soufflé aux organisateurs l'idée de cette thématique scientifique par excellence ?

Catherine Bréchignac : Non, nous l’avons définie ensemble. A l’Académie des sciences, nous sommes des scientifiques par définition. Nous réfléchissons au progrès en tant qu'avancée technologique. En fait, toute notre année de commémoration des 350 ans de l’Académie est placée sous le signe du progrès : « Qu’est-ce que le progrès en sciences ? » Nous avons par exemple débattu, le 27 septembre dernier, au Louvre, avec 57 académies du monde entier, sur cette thématique. La séance avait pour titre : « Sciences et confiance ». Donc, vous voyez, le sujet retenu par les organisateurs des Rencontres capitales, à savoir « redonner du sens au progrès », allait tout à fait dans cette direction. Nous sommes rapidement tombés d’accord.

« Redonner du sens au progrès », justement, qu’est-ce que cette formule signifie pour vous ? Le progrès serait une coquille vide dans laquelle chaque génération injecte un nouveau contenu ?

Non. Tout d’abord, le mot « progrès » vient du latin progressus qui désigne à l’origine la progression d’une troupe. Ce concept tel que nous l’utilisons dans la vie quotidienne renvoie, lui aussi, à l’action d’avancer, mais dans le temps. La science, elle, progresse par accumulations successives de connaissances. Nos connaissances s’emboîtent les unes dans les autres, nous permettant de mieux comprendre tel ou tel phénomène. Ce sont les applications que nous faisons de ce savoir scientifique qui posent parfois problème à la société. Pour moi, « Redonner du sens au progrès », c'est (re)donner un objectif sociétal au progrès des sciences.


À l'occasion des 350 ans de l'Académie des sciences, la 4e édition des Rencontres capitales se tient au palais de l'Institut de France, les 26 et 27 novembre. 50 personnalités ont accepté de dialoguer avec 3000 spectateurs sur le sens du progrès.
Académie des sciences


Le mot « progrès » est entré dans le vocabulaire français en 1532 et c’est François Rabelais qui l’aurait utilisé le premier. Depuis quand les scientifiques se sont-ils emparés de ce concept ?

On a toujours parlé de progrès, mais c’est une notion qui a été diversement interprétée selon les époques et les cultures. L’idée du progrès scientifique comme une meilleure compréhension des phénomènes nouveaux date du début du XVIIe siècle, à partir du moment où les découvertes scientifiques se sont accélérées. Depuis la révolution industrielle au XVIIIe siècle, nous assistons à un accroissement rapide du progrès. Il s'agit essentiellement d'un progrès cumulatif qui n’a pas d’équivalent dans d’autres domaines. Si on prend l’exemple de la peinture, l’art pariétal dans les grottes préhistoriques est tout aussi beau qu’un tableau de Kandinski. Alors que les progrès scientifiques s’accélèrent, la notion du « Beau » et l’émotion que sa réception suscite n’ont pas progressé au même rythme.

La prise de conscience du désastre écologique auquel les avancées technologiques ont très largement contribué, nous pousse à penser aujourd'hui au progrès avec beaucoup de circonspection. Diriez-vous que le progrès scientifique et le progrès technique favorisent nécessairement le progrès humain ?

Il est clair que la domestication de l’énergie, l’amélioration des transports ou de l’habitat permettent aux hommes de vivre plus confortablement. Mais nous savons aussi que les progrès technologiques peuvent être utilisés à des fins néfastes. Ce n’est pas la connaissance qui est néfaste, mais c'est son utilisation sans un souci éthique, qui pose question. Il faut donc édicter des règles qu’il conviendra de s’éviter de transgresser. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », Rabelais le disait déjà au XVIe siècle. En même temps, il faut dire que si l’amélioration des connaissances ne garantit pas le progrès humain, il est certain que sans l'amélioration des connaissances il n’y aurait pas de progrès humain.

Rencontres capitales fait partie des événements que vous parrainez cette année pour célébrer les trois siècles et demi d’existence de l’Académie des sciences. A quoi sert cette institution ?

L'Académie des sciences française a été créée par Colbert il y a 350 ans, à peu près en même temps que les Académies italienne, prussienne et britannique. Ces quatre institutions rassemblaient les meilleurs savants de l’époque qui, d’ailleurs, travaillaient ensemble. Le roi Louis XIV invitait les hommes de science de l’époque à « entrer en commerce » avec les Académies étrangères, car il estimait que la science devait être universelle. Vous vous demandez pourquoi ces académies ont été créées. Pour conseiller les rois ou les empereurs, qui étaient les hommes politiques de l’époque. Ils avaient besoin de conseils pour trancher dans des sujets de société difficiles. Hier comme aujourd'hui, les valeurs sur lesquelles les sociétés sont fondées ne sont pas toujours en phase avec l’évolution de la science et des connaissances. La mission des Académies comme les nôtres n’a pas beaucoup changé depuis l’époque de Louis XIV.

Comment choisissez-vous les thèmes sur lesquels vous réfléchissez ?

Il y a deux voies. Soit nous sommes saisis par le gouvernement qui nous demande de donner notre avis sur tel ou tel sujet qui le préoccupe, ou bien l'Académie se saisit elle-même car elle sent qu'une découverte scientifique peut engendrer des développements extraordinairement importants ou bien conduire à un changement de comportement. Les produits de nos réflexions sont ensuite mis sur notre site ou communiqués au gouvernement si la demande émane de lui.

Comment devient-on membre de l'Académie des sciences ?

Il faut être coopté. Presque tous les grands scientifiques français en font partie. Notre Académie compte 258 membres qui sont tous des nationaux, mais nous avons aussi des associés et correspondants étrangers élus parmi les scientifiques étrangers les plus éminents.

Vous avez des correspondants africains ?

Oui. En Afrique, par ailleurs, nous faisons partie du Groupe inter-académique pour le développement (GID) qui est formé d’une dizaine d’académies d’Europe du Sud et du continent africain, dont l’objectif est de mobiliser les savoirs pour le développement. Nous travaillons aussi avec les Etats africains pour les aider à mettre en place leurs propres Académies, comme nous l'avons fait récemment avec le gouvernement algérien qui a lancé en 2014 le processus de création d'une Académie algérienne. Nous avons des coopérations de longue avec les Académies du Maroc et de la Tunisie. En Afrique subsaharienne, nous avons des échanges fructueux avec les Académies du Sénégal, du Bénin et de l'Afrique du Sud. L'existence de ces Académies est la preuve que l'Afrique s'intéresse à la science et de plus en plus de pays consacrent une partie non négligeable de leur PIB au développement scientifique.

Les tables rondes des Rencontres capitales se dérouleront les 26 et 27 novembre 2016, au Palais de l'Institut de France. Adresse: 23, quai de Conti, 75006 Paris. Renseignements et inscriptions: www.rencontrescapitales.com

(RFI)



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