Par Kèoprasith Souvannavong
C’est une prouesse. L’artiste sud-coréenne Yang Mi-yong expose son œuvre exceptionnelle au Carrousel du Louvre, à Paris, du 2 au 6 novembre 2016 : cinq cents figurines en hanji, le papier traditionnel du Pays du matin calme. Ces poupées de 25 centimètres aux visages bien distincts s’inscrivent dans une scénographie épurée représentant une procession festive à l’occasion d’un mariage royal au XVIIe siècle. Rencontre avec Yang Mi-yong dans son atelier à Jeonju, au sud de la capitale Séoul.
« J’ai fabriqué au total 1 228 figurines pour la présente commande, dans le cadre de l’année croisée France-Corée 2015-2016. Seulement 500 seront montrées à Paris. Toutes ont des visages différents », assure Yang Mi-yong, artiste passionnée d’histoire. Une passion qui l’a guidée à donner vie à ses créatures uniques en s’inspirant des Uigwe, des Protocoles royaux de la dynastie Joseon, au pouvoir dans la péninsule coréenne de 1392 à 1910. Inscrits en 2007 par l’Unesco au registre « Mémoire du monde », ces manuscrits d’une valeur historique inestimable, illustrés de dessins, recensent et décrivent les cérémonies officielles, les principaux rites pratiqués par la famille royale et la vie de la cour.
« Le roi avait déjà 66 ans, et la nouvelle reine seulement 15 printemps »
Ces 500 poupées participent justement à l’évocation d’une procession lors du deuxième mariage du roi Yeongjo avec la reine Jeongsun au XVIIe siècle, après la mort de sa première épouse, emportée par une maladie. « Yeongjo était le souverain qui avait régné le plus longtemps dans la lignée des Joseon, rappelle Yang Mi-yong. Lors de ses secondes noces, il avait déjà 66 ans, et la nouvelle reine seulement 15 printemps. Econome, il eut l’idée de faire restaurer tous les objets utilisés par ses ancêtres pour célébrer sa nouvelle union. »
A travers cette évocation, le visiteur découvre aussi l’histoire de ce monarque peu ordinaire. On y apprend notamment qu’avant son accession au trône, « la tradition voulait que ce soit les courtisans qui conduisent la reine dans la chambre du roi au soir du mariage. Mais, à partir du règne de Yeongjo, le souverain se rendait lui-même directement dans la demeure de sa nouvelle femme », explique Yang Mi-yong.
Le hanji, un matériau noble fait de fibres de l’écorce du mûrier
En tête du cortège de ces figurines aux visages joyeux et aux tenues colorées (voir notre diaporama plus bas) : des savants, des cavaliers, suivis de musiciens, de courtisanes, de dames d'honneur, de cuisiniers, de porteurs… Certains à pied, d’autres à cheval ou sur des palanquins. Des personnages reproduits fidèlement tels qu’on les trouve dans les Uigwe. L’artiste, dont la créativité n’est plus à démontrer, a étudié de près ces manuscrits précieux et a rencontré de nombreux spécialistes avant de mettre la main à la pâte, au sens propre comme figuré. Experte en hanji, elle a naturellement choisi ce matériau noble traditionnel coréen, fait de fibres de l’écorce du mûrier pour modeler ses personnages habillés de couleurs vives, avec précision et patience.
« Il y a plus d’une centaine de façons d’exprimer le sourire »
Difficile toutefois pour l’artiste de dire combien de temps elle met pour réaliser une figurine. « Je commence d’abord par une série de visages. En attendant qu’ils prennent forme avec le temps de séchage nécessaire, j’élabore des mains, des jambes… ». Mais comme il y a plus de mille figurines, comment combiner des visages et des expressions propres à chacune d’elles ? « Je me souviens en détail de chaque visage souriant que je leur donne. Il y a plus d’une centaine de façons d’exprimer le sourire, c’est ce qui me stimule et me passionne. Les visiteurs peuvent penser que ce ne sont que de simples figurines, dépourvues d’âme et de vie. Mais pour moi, ce sont des êtres vivants. Les concevoir est comme un rite. Je souhaite transmettre mon émotion, ce que je ressentais au moment où je les créais. »
Reste à savoir ce qu’il adviendra de ces figurines après leur exposition à Paris. La ville de Jeonju, berceau de la dynastie Joseon et réputée pour être la capitale culturelle de la Corée, voudrait les garder comme patrimoine. Mais le gouvernement aimerait les transférer à Séoul dans un musée national, pour toujours. « En tant qu’artiste, je ne pense pas à tout cela », confie Yang Mi-yong. « Moi, je rêve simplement de faire inscrire cette procession avec tous ces personnages originaux au Livre Guinness des records », conclut-elle en plaisantant.
(RFI | Publié le 28-10-2016)
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