LE MONDE | 08.09.2016 Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Gideon Remez, l’un des deux chercheurs israéliens affirmant que Mahmoud Abbas aurait été, dans les années 1980, un agent du KGB, avec le document dans lequel est inscrit « Krotov », pseudonyme supposé du président de l’Autorité palestinienne. AMMAR AWAD / REUTERS
Mahmoud Abbas, ancien agent du KGB ? L’accusation a été lancée par la chaîne israélienne Channel 1, mercredi 7 septembre, en s’appuyant sur un document d’archives, découvert il y a quelques mois par deux chercheurs. Il s’agit d’une liste de contacts du KGB dans les années 1980 au Moyen-Orient et dans d’autres régions du monde, qui s’étend sur près de 120 pages. Le numéro 244 serait Mahmoud Abbas. Pseudonyme : « Krotov ». La taupe, en russe. La direction palestinienne a immédiatement dénoncé une « campagne de diffamation ». « C’est stupide, explique au Monde Hanan Ashrawi, membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Les Israéliens propagent des mensonges, qui prennent du volume, et auxquels on a du mal ensuite à répondre. »
Interrogés par Le Monde, les deux chercheurs israéliens, Isabella Ginor et Gideon Remez, affirment qu’ils sont tombés sur le document en question « par hasard ». « Ce fut une surprise, nous cherchions autre chose dans les archives Mitrokhine », dit le professeur Remez. Mort en 2004, Vassili Mitrokhine fut l’une des sources les plus précieuses, en matière de renseignement, sur l’époque de la guerre froide. Il avait travaillé pendant des décennies dans les archives de la première direction du KGB. Alors que les mouvements démocratiques étaient réprimés en Europe de l’Est, Mitrokhine avait décidé, à partir de 1972 et jusqu’à sa retraite en 1984, de prendre des notes manuscrites, à la hâte. Son objectif : conserver sa propre version des milliers de documents officiels qui passaient entre ses mains, relatant en particulier les opérations extérieures des services soviétiques.
Contexte diplomatique particulier
Vassili Mitrokhine a fait défection en Grande-Bretagne, en 1992, après la chute de l’URSS. Il a lui-même tapé à la machine ses notes manuscrites. Les documents sont conservés à présent au centre Churchill, à l’université de Cambridge, en Grande-Bretagne. Ils ont nourri un double ouvrage avec le professeur Christopher Andrew.
Mais toutes les pages n’avaient pas été exploitées, précisent les deux chercheurs israéliens, qui travaillent actuellement sur un nouveau livre, intitulé La Guerre israélo-soviétique, 1967-1973, dont la parution est prévue en juin 2017. « Notre spécialité est l’implication soviétique au Moyen-Orient, militaire et dans le domaine du renseignement, explique Gideon Remez. Le document que nous avons trouvé ne contient que deux lignes sur Abbas. Il précise qu’il a été cultivé, selon l’expression convenue. » « Krotov » est classé comme un « agent du KGB ». D’autres individus sont qualifiés de « personne de confiance » ou bien manifestent un « refus de coopérer ». Impossible, reconnaissent les historiens, de savoir quand aurait eu lieu l’enrôlement de Mahmoud Abbas au service du KGB, pas plus que la durée et la nature de cette collaboration en Syrie et dans la région.
La révélation de ce document tombe dans un contexte diplomatique particulier. La chaîne israélienne Channel 1, reprise par l’ensemble des médias locaux, a souligné le fait que l’ambassadeur soviétique à Damas, en 1983, était Mikhaïl Bogdanov. Vétéran de la région au ministère des affaires étrangères, il est depuis 2012 le représentant spécial du président russe, Vladimir Poutine, au Moyen-Orient. A ce titre, il essaie actuellement de convaincre Mahmoud Abbas et Benyamin Nétanyahou de se rencontrer à Moscou.
Le soutien de l’Union soviétique à l’OLP de Yasser Arafat s’était manifesté de nombreuses façons, dès le début des années 1970. Outre la reconnaissance politique et la formation des cadres, il s’agissait d’aide financière et de livraisons d’armes. Au début des années 1980, Mahmoud Abbas a étudié à l’Institut d’études orientales à Moscou, où il a rédigé sa thèse de doctorat, consacrée à « la relation secrète entre les nazis allemands et les sionistes ». Il a été accusé d’y remettre en question l’ampleur de la Shoah et le nombre de victimes juives. En 2014, il a qualifié l’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale de « pire crime contre l’humanité ».
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