« We love EU » : à Londres, des milliers de personnes défilent contre le Brexit.
Manifestation contre le Brexit à Londres, le 2 juillet. PAUL HACKETT / REUTERS
Jamais Londres n’avait arboré autant de drapeaux européens. Ce bleu de l’UE, avec ses étoiles dorées, les quelque 30 000 « Marcheurs pour l’Europe » qui ont défilé samedi 2 juillet entre Hyde Park et Westminster, en avaient mis partout : sur leurs joues, leurs casquettes et surtout sur d’innombrables pancartes confectionnées individuellement à la maison, dans la rage du Brexit, avec une grande créativité. Aucun des deux grands partis politiques – en crise ouverte depuis le référendum – n’avait appelé à ce défilé, issu d’un appel lancé sur les réseaux sociaux.
« Don’t go Brexit my heart » (« Ne me Brexit pas le cœur »), « Stoppons le nouveau rideau de fer », « Gardez votre calme mais restez indignés », « Fromage et non Farage [nom du leader du parti d’extrême droite UKIP] ». Mais surtout, des dizaines de messages d’amour aux Européens, à l’Europe et même à l’Union européenne. Le « We love EU » prononcé « We love you » (« Nous t’aimons ») avait évidemment la cote, décliné sur tous les tons, juste pour le plaisir de faire rimer Europe (EU), avec « toi » (« you »).
« Je suis venu pour dire aux Français et aux Européens que nous sommes toujours avec eux, expliquait John Stobbs, un professeur de français, un drapeau de l’UE tatoué sur la joue. Que vont devenir nos élèves à qui nous répétons que leur avenir est en Europe ? » Plutôt jeune, enjoué, le cortège rassemblait à l’évidence le cœur de l’électorat londonien « Remain » (partisan du maintien dans l’UE) du référendum du 23 juin : des gens éduqués, ouverts aux voyages et aux mélanges, inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants qu’ils avaient emmenés avec eux, sur leurs épaules ou dans de nombreuses poussettes. Le Londres à l’aise, cultivé et cosmopolite qui a voté à 60 % pour rester dans l’UE.
« Aujourd’hui, on me vole une partie de mon identité »
« Na, na nananana, EU », ont entonné ces orphelins de l’Europe sur l’air de « Hey Jude » des Beatles. « Je suis ici pour mes enfants, disait Lizzie Hillier, venue avec son mari et leurs deux petits. Je me suis toujours considérée comme membre de la famille européenne. Ajourd’hui, on me vole une partie de mon identité. Je ne veux pas vivre sur une petite île. Je suis très en colère. J’essaie de croire que c’est un cauchemar et qu’on va se réveiller. »
C’était un véritable défoulement d’amour, une incroyable rébellion dans un pays où le discours politique a fait de « EU », pour « European Union », un synonyme de « Titanic », et où aucun bâtiment public, aucune tribune officielle ne porte jamais le drapeau bleu étoilé de l’Union. Bien sûr, la colère côtoyait ces déclarations d’amour : on huait les « politiciens menteurs », on s’indignant que « le Brexit casse la Grande-Bretagne » ou on implorait : « Arrêtons cette folie collective ! » Devant Downing Street, les « honte à vous ! » pleuvaient sec. Mais il y avait aussi de si charmants British euphémismes : « Pouvons-nous rester ? » ou « Je crains que le Brexit ne soit une erreur ».
Sous le soleil, la foule évacuait sa colère, les marcheurs communiaient dans la joie de ne pas être seuls dans leur malheur. « J’étais anéanti, déprimé, en rage. Nous tenions pour acquis cette appartenance à une communauté plus large, témoignait Rupert Gara-Adams, un directeur de société. J’espère que de nouvelles élections vont pouvoir donner une nouvelle chance au Remain. » Rares étaient les manifestants à croire en l’organisation d’un second référendum. Mais tous tentaient d’imaginer un moyen de revenir sur le Brexit.
Une manifestante pro UE, le 2 juillet à Londres. NIKLAS HALLE'N / AFP
« Les travaillistes ont été incapables de répondre à la colère »
Mais comment ? Désarçonnés, certains demandaient que le prochain gouvernement ne déclenche pas la procédure de l’article 50 du traité de Lisbonne sur la sortie de l’UE. Le plus incroyable dans cette manifestation lancée sur les réseaux sociaux, était l’absence totale des partis politiques. Pas un slogan, pas une affiche à leur effigie, pas un élu. Seuls les chefs conservateurs de la campagne du Leave – Boris Johnson, Michael Gove et Nigel Farage – en prenaient pour leur grade, accusés de mensonges sur les pancartes.
Pour masquer leur profond désarroi, les marcheurs rappelaient juste que le Labour est au bord de l’implosion. « On n’a pas de leader pour le moment. Ils sont tous empêtrés dans leurs querelles d’ego, tempêtait Penny, électrice Labour venue tout spécialement du Pays de Galles. Les travaillistes ont été incapables de répondre à la colère de leurs électeurs de toujours. Le UKIP et le Leave les ont récupérés. »
Au même moment, Jeremy Corbyn, le leader travailliste désavoué par 81 % des députés de son parti, participait à un rassemblement antiraciste au nord de Londres. Interrogé sur son avenir par des journalistes, il a refusé de s’exprimer et les a éconduits vertement. Angela Eagles, la députée qui souhaite lui succéder, lui a demandé une nouvelle fois, ce samedi, de démissionner, comme elle le fait depuis plusieurs jours, en vain.
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
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