jeudi 16 mars 2017

Il y a cent ans, le dernier soupir de la Russie tsariste



Mise à jour 14.03.2017 à 23:15 par Pascal Priestley


Le Soviet de Petrograd en février 1917.


Le 15 mars 1917, le dernier Tsar de Russie était contraint à l'abdication au terme d'une insurrection populaire où les soldats ont finalement rejoint les ouvriers en grève mais aussi les femmes en révolte. La fin d'un monde et le premier acte d'une révolution qui devait profondément marquer le siècle.



Le Tsar et sa famille avant la chute.


Il est près de 23 heures ce 15 mars (1) lorsque Nicolas II reçoit en son palais de Saint-Pétersbourg (2) deux émissaires du gouvernement provisoire formé quelques jours plus tôt dans le tumulte d'une insurrection désormais irrépressible.

Au Tsar de toutes les Russie, ils viennent demander non la fin du régime impérial mais, solution de compromis préconisée par son État major, son abdication en faveur de son fils. Ce dernier n'a que treize ans. Nicolas II préfère laisser la couronne à son frère, le Grand-Duc Michel… Celui-ci y renonce le lendemain.

Ainsi s'effondre un empire inauguré deux siècles plus tôt par Pierre le Grand, dans une tragédie qui ne fait, elle, que commencer et dans une soudaineté seulement apparente. L'agonie, en fait a commencé bien plus tôt.

La « répétition générale » de 1905

A l'aube du XXème siècle, la Russie n'est plus la contrée attardée dépeinte naguère par les voyageurs. Elle a certes attendu 1861 pour abolir le servage et son industrialisation y est plus tardive qu'en Europe occidentale. Celle-ci s'est néanmoins accélérée dans les trente dernières années.

Les emprunts russes contractés sur le marché international font affluer des capitaux propices au développement accéléré d'une industrie lourde et d'infrastructures, en particulier le chemin de fer si déterminant dans ce territoire immense. Sous Nicolas II, au pouvoir depuis 1894. la Russie est la troisième ou quatrième puissance du monde au plan économique et un acteur militaire redouté. Sa population – autour de cent millions d'habitants, en forte expansion - en fait la plus peuplée d'occident.

La situation sociale, pourtant, y est très tendue. Les campagnes sont ravagées par la pauvreté et le surendettement. Vers 1900, une crise économique mondiale cause la fermeture de nombreuses usines. En 1904, sa confrontation orientale avec le Japon se traduit par une coûteuse et humiliante défaite. Le mécontentement populaire croît et avec lui l'influence de partis réformistes ou révolutionnaires.

Répression à Saint-Petersbourg en 1905.


En 1905, une première série de grèves ouvrières à Bakou, Moscou, Saint-Pétersbourg aboutit à la répression sanglante du dimanche rouge (22 janvier, des centaines de morts) mais elle est suivie d'une seconde vague, sur fond d'attentats. La révolte s'organise et se politise. En juin, les marins du Cuirassé Potemkine se mutinent et fraternisent avec des insurgés.

En octobre, une grève s'étend des universités aux usines. Un soviet (assemblée ouvrière) s'organise à Saint-Pétersbourg. La paralysie du pays force le pouvoir à composer. Le Manifeste du 17 octobre 1905 concédé par le Tsar consacre la reconnaissance d'une Douma (parlement) et semble orienter la régime dans une voie moins autocratique.

La révolution de 1905 révélait déjà tous les processus de base qui se répéteraient à plus grande échelle douze ans plus tard.
Léon Trotski


Pourtant, dès 1906, une vague de répression parvient à arrêter un mouvement qui s'était, pour sa part, divisé. Nicolas II refuse d'appliquer les réformes promises et la Douma reste décorative. Parmi les agitateurs arrêtés, un certain Léon Trotski écrira : « La révolution de 1905 révélait déjà, quoiqu’à l’état embryonnaire, tous les processus de base qui se répéteraient à plus grande échelle douze ans plus tard. Ce fut une répétition générale, sans laquelle la victoire finale du prolétariat en octobre 1917 eut été impossible ». Dans la métaphore théâtrale, février-mars 1917 devaient de la grande Révolution frapper les trois coups et dérouler le premier acte.

De la grève à l'insurrection

Parmi les causes immédiates, on retrouve la guerre, dans laquelle l'empire, stimulé par son alliance avec la France et la Grande-Bretagne, est entrée contre l’Allemagne dès 1914. Le sort des armes lui est d’abord favorable mais la Russie s’avère incapable d’affronter une guerre moderne. A partir de 1915, les revers s’accumulent. Dans les grandes villes, la guerre est impopulaire et perturbe la circulation des denrées et marchandises. Les grèves se multiplient souvent émaillées de violences et de répression.

L’hiver 1917 est rigoureux. L’idée de grève générale se répand. Elle démarre fin février dans des usines de Saint-Pétersbourg frappées de chômage partiel en raison des difficultés d’approvisionnement.

Manifestation des femmes à Petrograd le 8 mars 1917.


Le 8 mars, lors de la Journée internationale des femmes – initiée quelques années plus tôt par l’Internationale socialiste – des cortèges manifestent en ville pour du pain. Les ouvriers grévistes – plus de cent-cinquante mille- se joignent à elles. Les Cosaques chargés de la répression sont débordés et renoncent à disperser les manifestants qui deviennent vite des insurgés.

Les jours suivants, la grève se généralise et les manifestation s’amplifient. Le Tsar tente de la mater le 11 mars. La police et l’armée font feu sur la foule, y tuant plus de cent-cinquante personnes. Des fraternisations, pourtant, s’amorcent entre la troupe et les insurgés. Elles se généralisent dans les heures qui suivent et le 12 mars, toute la garnison de Petrograd est du côté de l’insurrection.

Des soviets revoient le jour. Composé de près de 600 membres, celui-de Petrograd réunit soldats et ouvriers. Il publie un journal : les Izvestias (les nouvelles). La grève s’étend à Moscou. Un comité révolutionnaire national s’y constitue. Les révolutionnaires y dominent. Parallèlement, pourtant surgit une autre instance : la Douma, réformiste mais bien plus acquise au retour à l’ordre.

Gouvernement de sauvetage

Les deux instance concurrentes aboutissent à un compromis, en attendant la convocation d’une assemblée constituante ; un gouvernement provisoire à tendance libérale est établi. Il ne compte aucun révolutionnaire mais s’engage à d’importantes réformes : l’instauration du suffrage universel, l’amnistie des prisonniers, la fin de la répression, l’introduction de multiples droits et libertés pour les citoyens mais aussi pour les soldats…



Le Tsar n’est pas déposé et la Douma conservatrice pouvait s’accommoder d’un régime impérial mâtiné de parlementarisme. C’est paradoxalement le haut État-major qui le persuade de renoncer au Trône pour … mieux poursuivre la guerre contre l’Allemagne – le pouvoir provisoire ne s’y oppose pas - et peut-être sauver la dynastie.

Jugeant son fils trop jeune et de santé fragile, Nicolas II abdique le 15 mars 1917 (2 mars dans le calendrier Julien) en faveur de son frère. Celui-ci renonce à la couronne dès le lendemain. La dynastie Romanov n’est plus. La Douma hérite du pouvoir.

La révolution de février 1917 a au total causé quelques centaines de victimes. Détenue dans le luxueux Palais Alexandre proche de Petrograd, le Tsar et sa famille ne seront exécutés que plus d’un an plus tard, sous un autre pouvoir. Lénine et Trotski encore en exil – le premier rentre en avril en Russie, le second en mai - les communistes bolcheviks n’ont joué qu’un rôle discret dans les événements de février-mars 1917. Leur révolution fera l’objet du second acte, sept mois plus tard.

♦ (1) 15 mars selon le calendrier grégorien, aujourd'hui généralisé. Correspond au 2 mars dans le calendrier Julien alors en vigueur en Russie. Les événements sont pour cette raison connus sous le nom de Révolution de février.

(2) Renommée Petrograd en 1914, puis Leningrad en 1924, avant de redevenir Saint-Pétersbourg en 1991.

TV5 Monde
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