samedi 26 novembre 2016
La bactérie tueuse des Soviétiques a été identifiée
Une équipe de chercheurs a découvert l’existence d’une bactérie tueuse, étudiée dans des laboratoires soviétiques clandestins pendant la Guerre froide. Grâce à l’identification de cette souche porteuse de la maladie du charbon, les scientifiques pourront la détecter et la traiter, si jamais elle est utilisée à nouveau, notamment par des terroristes.
En 1979, une inquiétante épidémie frappe Sverdlovsk (aujourd’hui Ekaterinbourg), une ville située à plus de 1 400 km à l’est de Moscou. En quelques jours, les habitants de cette ville tombent malades. Ils toussent, vomissent, souffrent de terribles fièvres. Au moins 66 personnes décèdent sans explication ainsi qu’un grand nombre d’animaux.
À l’époque, quand les autorités soviétiques viennent enquêter sur ce drame, elles l’imputent à la viande de mauvaise qualité vendue sur le marché noir. Elles l’assurent : les victimes avaient mangé de la viande contaminée et succombé à la maladie du charbon (aussi appelée fièvre charbonneuse). Il s’agit d’une maladie infectieuse aiguë causée par la bactérie Bacillus anthracis.
Une traînée mortelle
En réalité, la viande n’y était pour rien. En 1992, alors que Boris Eltsine est président, une équipe de chercheurs de Harvard, menée par Matthew Meselson, est autorisée à enquêter sur l’incident. Leurs résultats sont publiés dans la revue scientifique Science, deux ans plus tard.
Ils ont trouvé la véritable origine de ce carnage : un panache de spores de la maladie du charbon s’était accidentellement échappé d’une usine clandestine d’armes bactériologiques soviétiques. Le vent l’a emporté vers le sud-est, laissant une traînée mortelle sur 50 km. « La viande contaminée ne va pas en ligne droite sur 50 km, mais le vent oui », écrivait Matthew Meselson.
Avec plus de 60 victimes, il s’agit de l’épisode le plus meurtrier d’inhalation de Bacillus anthracis, à tel point qu’il est surnommé « le Tchernobyl bactériologique ». Si le vent avait soufflé dans une autre direction, notamment vers le centre-ville, des milliers de personnes seraient mortes.
Alevtina Nekrasova près de la tombe de son père, Vasily Ivanov. Il a été une des premières victimes de la maladie du charbon, à Sverdlovsk, en 1979. (Photo : DR)
Pendant la Guerre froide, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union soviétique ont lancé des programmes de recherches afin de créer des armes biologiques. En théorie, après la Convention internationale sur les armes bactériologiques de 1972, les usines et les laboratoires devaient être fermés à partir de 1975. Mais l’accident de Sverdlovsk indique que cela n’a pas été le cas.
Une « super-bactérie » ?
Jusqu’à maintenant, même si les chercheurs savaient avec certitude que la bactérie était responsable de l’épidémie, ils n’avaient pas réussi à déterminer l’ADN de cette bactérie tueuse, ni à savoir si les Soviétiques l’avaient ou non modifiée. Ils n’avaient également aucun moyen de savoir si la bactérie avait été dispersée depuis, ou si elle pouvait encore l’être dans le futur.
Grâce à des échantillons bien conservés issus de la zone infectée, une équipe de scientifiques de la Northern Arizona University a enfin obtenu des réponses. D’après leurs résultats, publiés dans la revue scientifique de microbiologie mBio, les scientifiques soviétiques n’avaient pas réussi à rendre la souche de bactérie en leur possession résistante aux antibiotiques ou aux vaccins.
Si elle l’avait été, « leurs armes bactériologiques auraient été beaucoup plus meurtrières. C’est une souche tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Mais ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas été agressive. Elle a été trouvée dans la dépouille de personnes qu’elle a tuées », rappelle Matthew Meselson.
Cela ne veut pas dire non plus que les Soviétiques n’ont pas essayé de créer une « super-bactérie ». « Ils avaient très certainement les moyens de rendre la souche résistante à la pénicilline », affirme Meselson.
Après le 11 septembre 2001, des journalistes et des hommes politiques américains ont reçu des enveloppes contaminées au bacille de charbon. (Photo : Reuters)
Les résultats suggèrent donc deux hypothèses : soit la souche était déjà tellement virulente qu’ils ont eu très peu de modifications à faire pour la rendre encore plus mortelle, soit les scientifiques ont eu de sérieuses difficultés pour rendre leur bactérie plus meurtrière que l’originale et n’y sont pas parvenus.
De plus, une seule souche s’est échappée dans l’air. Les chercheurs américains n’ont aucune idée de ce qui pouvait se passer d’autre dans cette usine…
Menace bioterroriste
Ils assurent en revanche que ces résultats s’avéreront utiles, au cas où des terroristes auraient mis la main sur des souches de la maladie du charbon. « Cela nous fournit une empreinte moléculaire. Si cette souche refait surface, on sera en mesure de dire qu’elle provient des énormes quantités produites dans cette usine clandestine, et on saura comment la combattre », explique un expert de l’institut Robert Koch spécialiste de la maladie du charbon, dans le magazine Science.
La maladie du charbon, causée par la bactérie Bacillus anthracis, tue très peu naturellement. Mais ses spores peuvent résister plusieurs années dans la terre, avant d’être ingérées par des animaux, transportées par les cours d’eau ou véhiculées par l’air, si on les y disperse volontairement.
Une fois que les spores se sont installées à l’intérieur du poumon humain, ils peuvent causer une infection grave. Si elle n’est pas traitée avec des antibiotiques, cette maladie tue 90 % des personnes infectées.
C’est pour cette raison que la maladie du charbon peut constituer une menace bioterroriste. Après le 11 septembre 2001, des journalistes et des hommes politiques américains ont reçu des enveloppes contaminées au bacille de charbon. Vingt-deux personnes ont été infectées et cinq sont mortes.
(ouest-france.fr | 25 nov 2016)
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