Voguer plus loin en consommant moins: l’univers maritime doit se frotter au concept d’«efficience énergétique» pour tenter de réduire les émissions polluantes de ce secteur, qui véhicule 90% des marchandises transportées à travers le monde. Un concours d’ingénieurs a lieu ces jours à Lausanne, où sont présentés des prototypes qui sont peut-être les embryons des navires du futur.
Les prototypes des navires du futur en compétition
Innovation Voguer plus loin en consommant moins:le monde maritimese frotte au concept d’«efficience énergétique»
Un concours d’ingénieurs a lieu ces jours à Lausanne
Des côtes houleuses de Tasmanie à la gentille plage de Dorigny, non loin de l’EPFL, Samuel Smith a traversé la planète pour faire voler son bateau! Ou plutôt celui de l’équipe d’ingénieurs de l’Australian Maritime College, dont il fait partie et qui prend part à l’HydroContest, la première compétition internationale mettant en scène des prototypes d’embarcations du futur. Ce concours se déroule près des rives du Léman, jusqu’à dimanche*.
«Chaque équipe a reçu le même moteur et la même batterie électrique, explique Denis Horeau, le directeur de la course, qui est aussi celui du Vendée Globe, fameuse épreuve en solitaire. Les participants [120 étudiants de 13 groupes provenant d’écoles d’ingénieurs de six pays] ont alors dû imaginer des modèles de bateaux téléguidés capables d’aller le plus vite et le plus loin.» Cela tout en respectant certaines contraintes: taille, absence d’autres moyens de propulsion, lest à embarquer, de 200 kg dans la catégorie «Transport de masse» et de 20 dans celle des «Embarcations personnelles». Ensuite, départ pour des courses éliminatoires, jusqu’aux finales de ce week-end. L’objectif ayant servi de fil rouge à leur travail: imaginer, développer et tester des systèmes et technologies de toutes sortes pour optimiser la consommation d’énergie des bateaux. «Le concept d’efficience énergétique est très important pour nous, ingénieurs navals, dit Samuel Smith. Et, comme c’est la première édition de ce concours, c’est très intéressant de voir la floraison d’idées présentées. Et de pouvoir échanger à ce sujet.»
Cette compétition a été lancée par la société vaudoise Hydros, ancienne start-up de l’EPFL active dans la recherche de solutions à la transition énergétique dans les secteurs du nautisme, du yachting et du transport maritime, dont l’importance est immense. Son directeur, Jérémie Lagarrigue, le rappelle dans le dossier de l’événement: «En 2013, 90% des échanges commerciaux ont été réalisés par voie maritime. Et, si le bateau émet 58 fois moins de tonnes de CO2 que l’avion par tonne transportée (15 g/tonne/km contre 867), et 2,5 fois moins que le train, toute amélioration de l’efficience énergétique reste appréciable: chaque pour-cent de fuel économisé sur la flotte mondiale représente une économie potentielle de 42 millions de tonnes de CO2 par an.»
La démarche d’Hydros s’inscrit dans une récente prise de conscience planétaire, qui s’est concrétisée en juillet 2011 par l’adoption au niveau mondial des mesures du Comité de protection de l’environnement marin (MEPC) de l’Organisation maritime internationale, visant à limiter la pollution atmosphérique générée par les navires – une étape qui a d’ailleurs constitué le premier régime de réduction des gaz à effet de serre imposé à un secteur industriel entier. Elle s’est aussi traduite par l’établissement de l’Energy Efficiency Design Index (EEDI) entré en vigueur le 1er janvier 2013, un catalogue de dispositions techniques minimales que doivent désormais satisfaire les navires, et qui a le support des gouvernements, organisations industrielles et civiles concernés. C’est sur cet effort que, modestement, Hydros souhaite greffer sa démarche. «Le but de l’HydroContest est de trouver des solutions pas trop chères, et potentiellement transposables à l’industrie, en utilisant l’intelligence commune, pour améliorer encore l’efficience énergétique des bateaux», dit Jérémie Lagarrigue.
Sur les berges lausannoises, les embarcations des ingénieurs ont encore, pour beaucoup, l’air de «gros bricolages». Parmi les organisateurs, on ne doute toutefois pas que, pour les éditions suivantes, ces prototypes serviront de base à des développements qui feront alors ressembler ce concours à celui des voitures solaires: il y a quelques décennies, celles-ci étaient essentiellement constituées d’un panneau photovoltaïque posé sur quatre roues; aujourd’hui, elles ressemblent à des bolides futuristes au design affiné et bourrés de technologies novatrices.
Dans les stands et lors des discussions avec les professeurs encadrant ces étudiants, quelques idées se dévoilent. Comme ce submersible de l’Ecole nationale supérieure maritime (ENSM) de Marseille: un «swath», un gros bulbe immergé dans lequel est installée la charge (simulant dans cette maquette les containers géants), relié verticalement par une tige à un «bouchon», assurant lui la flottaison de l’ensemble. «Le swath, qui vise à transporter des marchandises dans un habitacle dans l’eau plutôt que sur l’eau, cela pour éviter le frein causé par les vagues à la ligne d’immersion, n’est pas un concept nouveau, dit Frédéric Spelliers, professeur de l’équipe. Notre innovation, c’est d’avoir ajouté des «foils» sur la tige. Si bien qu’en prenant de la vitesse, le bouchon se soulève au-dessus de l’eau, tandis que le swath reste dans l’eau: au final, la résistance totale au mouvement est moindre.»
De foils, il en est d’ailleurs beaucoup question à l’HydroContest. Ce concept lui aussi n’est pas récent, puisqu’il date de la fin du XIXe siècle, comme le rappelle une exposition sur place. Mais ces appendices n’ont été réellement développés qu’il y a 30 ans, grâce aux technologies les plus récentes. Il s’agit d’ailerons situés sous les flotteurs et orientés à 45° qui, dès que le voilier acquiert de la vitesse, lui impriment une poussée verticale et font s’élever ses coques. Le bateau, ne touchant l’eau plus que par ses foils, voit sa traînée diminuer considérablement, et sa vitesse dépasser largement celle des navires classiques.
Ces foils ont été appliqués avec succès sur l’Hydroptère, qui a pu franchir en 2009 la barre mythique des 50 nœuds (92,6 km/h), puis sur les géants de la dernière Coupe de l’America. «Mais il reste beaucoup à faire dans ce domaine», avise Jérémie Lagarrigue. Cette technologie est-elle transposable aux navires marchands? Très difficilement, en raison de leur poids rédhibitoire. Encore que: l’équipe de Tasmanie est la seule à concourir dans la catégorie «Transport de masse» avec un engin à foils.
Leur avenir se situe plus dans le nautisme de plaisance. Durant la manifestation, Hydros ne se prive d’ailleurs pas de montrer son dernier prototype, frais sorti des ateliers: un yacht équipé de deux foils sur l’avant, qui le font survoler l’eau. «Nous faisons avec deux moteurs de 200 CV ce qu’un hors-bord normal réalise avec 2 fois 600 CV. Nous consommons 40% d’énergie en mois», assure le directeur d’Hydros.
L’équipe de la Haute Ecole ARC de l’Arc jurassien présente, elle, un catamaran à l’hydrodynamique optimisée à l’aide de simulation informatique et au mode de propulsion novateur: «Nous avons développé une hélice à pas variable, explique Thierry Robert, professeur HES. En fonction du type de déplacement, nous pouvons adapter l’angle des pales de l’hélice. Cette technologie existe pour les gros paquebots, mais pas pour les petits bateaux.»
Plusieurs équipes enfin ont travaillé sur les matériaux, où les progrès récents sont énormes. A nouveau, Jérémie Lagarrigue ne manque pas l’occasion pour évoquer l’une des révolutions du domaine que son entreprise utilise. Baptisée TPT (pour Thin Ply Technology) et développée par la société NTPT à Cossonay, «elle consiste en de fines feuilles de fibres de carbone. Elles ont été utilisées sur surfaces planes notamment dans l’avion Solar Impulse. Nous sommes les premiers à en profiter pour faire des moulages en 3D: imaginez-vous que la coque de notre prototype est mince comme deux feuilles en papier, et donc légère, tout en restant solide.»
Pour Hydros, qui indique avoir investi plusieurs centaines de milliers de francs dans l’organisation de l’événement, en allouant notamment 4000 francs de base à chaque équipe, ce concours représente évidemment une «pépinière d’idées», admet Jérémie Lagarrigue: «Notre souhait est de faire poindre des concepts et, pour les meilleurs, d’aider leurs auteurs à décrocher une bourse Innogrants pour l’innovation, de l’EPFL, dotée de 100 000 francs. Mais nous souhaitons aussi permettre aux entreprises liées au transport maritime de dénicher de futurs talents; nous sommes en contact avec plusieurs d’entre elles pour un sponsoring en vue de l’an prochain.»
Par ailleurs, en organisant en septembre 2015 à Genève la Little Cup, faisant concourir des voiliers de Classe C et souvent qualifiée d’anti-chambre de la Coupe de l’America, le directeur d’Hydros espère mettre en contact les riches représentants et investisseurs de ce secteur mondain avec le vivier de l’HydroContest, «de manière à les sensibiliser à la question de l’efficience énergétique dans le monde maritime et à les encourager à investir financièrement dans des recherches».
* HydroContest: compétition de prototypes de bateaux, espace ludique, exposition. Jusqu’à dimanche à Dorigny, Lausanne. Infos: www.hydrocontest.org
But de l’HydroContest: trouver des solutions pas trop chères et industrialisables
Olivier Dessibourg
https://www.letemps.ch/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire