JEAN-JACQUES RÉGIBIER
JEUDI, 12 MAI, 2016
HUMANITE.FR
Montrée
du doigt pour ses pratiques de concurrence déloyale, la Chine est accusée par
les députés européens de menacer l’emploi en Europe
et certains secteurs industriels comme la sidérurgie. Pour pouvoir renforcer
les barrières douanières, le Parlement va exiger que le statut d’économie de
marché soit refusé à la Chine.
Correspondant à Strasbourg. C’est un paradoxe. D’un côté, l’Europe
importe massivement les produits chinois. La Chine est même le premier pays, si
l’on exclut le commerce des pays européens entre eux, à fournir l’Europe, 18%
de ses produits importés viennent de Chine. Donc une partie importante des
bénéfices réalisés par le commerce européen provient de la vente de produits
chinois sur son territoire. Cela vaut pour les produits de consommation
courante, mais aussi pour les produits industriels. D’autre part la Chine est
membre de l’Organisation mondiale du commerce ( OMC ), donc reconnue à part
entière comme pays faisant partie de la communauté internationale du commerce.
Et pourtant le Parlement européen s’apprête à refuser de reconnaître à la Chine
le statut d’économie de marché. Les députés européens viennent de le confirmer
mardi au cours d’un débat au Parlement européen, qui donnera lieu jeudi à un
vote sans surprise : pratiquement tous les groupes politiques sont d’accord
pour exiger non seulement qu’on maintienne, mais qu’on renforce les barrières
douanières contre les produits chinois. Ce qui ne manquera pas de mettre en
évidence l’autre aspect du paradoxe puisque l’OMC a fait de la lutte contre le
protectionnisme douanier son cheval de bataille, son objectif prioritaire étant
de multiplier les accords pour supprimer, justement, les barrières douanières
entre les pays.
La sidérurgie menacée
Un secteur industriel se sent particulièrement mis en danger
par les importations chinoises, c’est celui de la sidérurgie. Il faut dire que
l’enjeu est de taille puisque l’Union européenne est le second plus gros
producteur d’acier au monde après la Chine. On est donc là dans un combat de
géant où les conséquences des distorsions de concurrence peuvent s’avérer
tragiques pour les salariés. Plus de 40 000 emplois auraient déjà été perdus au
cours des dernières années dans la sidérurgie, qui fait travailler environ un
million de personnes en Europe. Le député
européen Edouard Martin ( Socialistes et Démocrates ), ex-leader syndical CFDT
d’ArcelorMital, évoque la fermeture récente de l’usine Tata Steel de Port
Talbot au Royaume-Uni, celle de NLKM à Beautor dans l’Aisne qui a mis au
chômage 300 salariés, ou bien encore la fermeture de deux aciéries en Espagne,
une à Bilbao ( 500 salariés ), une autre au Pays Basque ( 500 salariés
également ), et en Italie. Pour lui, le dumping chinois à l’exportation, fondé
sur des prix bas compensé par des subventions de l’état, est directement
responsable de cette casse industrielle et sociale.
Depuis plusieurs mois, des mobilisations d’ouvriers, mais aussi de
dirigeants d’entreprises ou de responsables politiques, ont eu lieu un peu
partout en Europe, notamment en avril en
Allemagne. Mardi d’ailleurs, une forte délégation de salariés du puissant
syndicat allemand IG Metal, qui revendique 2,5 millions d’adhérents, avait
traversé la frontière pour dénoncer devant le Parlement européen de Strasbourg
les dangers que font courir à la sidérurgie européenne les prix cassés
pratiqués par la Chine à l’exportation. IG Metal parle de prix inférieurs de
28% à ceux du marché. En raison d’une surproduction importante, et même si elle
a prévu de la réduire de moitié dans les 5 ans à venir ( 150 millions de
tonnes sur les 340 millions de tonnes de surproduction estimée ), la Chine
continue à exporter à des prix dénoncés comme inférieurs à leur coût de
production. « On ne lutte pas à armes égales avec la Chine, » explique
Edouard Martin qui poursuit : « ce que nous contestons à la Chine ce n’est pas
le droit de commercer avec l’Europe, on a intérêt à commercer les uns avec les
autres en bonne intelligence. Aujourd’hui dans le monde il n’y a pas un
producteur d’acier qui gagne de l’argent y compris les Chinois qui perdent 55
dollars de la tonne d’acier produite. Pourquoi ? Parce qu’il y a une crise de
l’acier, il y a une surcapacité mondiale. La Chine a une stratégie. L’acier
emploie plus de 2 millions de travailleurs dans le pays, la Chine ne veut pas
licencier ( … ) Pour gagner des parts de marché elle pratique des prix défiant
toute concurrence. » Voilà pour le constat.
Mais ce qui est certain également, c’est que l’économie libérale,
seule philosophie de l’Europe en matière économique, est largement responsable
de cette situation de concurrence sauvage, nuisible aussi bien pour l’Europe
que pour la Chine. « Nous sommes en train de payer ce qu’il y a dans les
traités européens, « estime Patrick Le Hyaric ( Gauche unitaire
européenne ) « les traités disent qu’on vit dans une économie ouverte où la
concurrence est libre. A partir de ce moment là on a un système où c’est
l’ouverture tous azimuts avec la concurrence entre les états (… ) ces
contradictions jouent toujours contre les travailleurs, les travailleurs
européens et les travailleurs chinois. Il vaudrait mieux chercher des systèmes
de coopération qui préservent l’industrie, qui préservent les travailleurs. On
ne peut pas vivre sans filet de protection parce que là, ce sont toujours les
travailleurs qui paient. »
Renforcer les mesures anti-dumping
Dans un tel système, il ne reste plus à l’Europe qu’à renforcer
ses armes juridiques pour tenter d’éviter l’arrivée massive sur le marché
européen de produits chinois qui ne correspondent pas aux sacro-saints critères
de la libre concurrence. Ce qui ne va pas être simple. Car, en tant que membre
de l’OMC, la Chine considère qu’elle est une économie de marché de fait. Pour
elle, il n’y a donc pas de problème, la reconnaissance par l’Europe de son
statut d’économie de marché devrait être automatique à la fin de l’année.
L’Europe ne l’entend pas de cette oreille, car elle a ses propres
critères, cinq en tout, et elle juge que la Chine ne remplit pas quatre d’entre
eux. Donc, la Chine doit rester dans le groupe des pays à qui elle ne reconnaît
pas le statut d’économie marchande, avec comme conséquence la possibilité de
lui appliquer des mesures anti-dumping.
« La méthodologie actuelle (« non-standard ») permet à l'UE de
mettre en évidence des cas de dumping, même quand les produits importés sont
vendus au même prix que sur le marché intérieur chinois, « explique
Edouard Martin. « Accorder le statut d'économie de marché à la Chine, ce serait
renouer avec la méthode standard – telle que l'UE la pratique avec toutes les
autres « économies de marché ». Cela reviendrait à déterminer le dumping par
comparaison entre le prix des produits à l'exportation et les coûts de vente
sur le marché intérieur chinois (tous deux « dumpés » de manière similaire). Il
deviendrait pratiquement impossible de mettre en évidence les situations de
dumping. Attribuer le statut d'économie de marché à la Chine équivaut ainsi à
se priver de la possibilité d'utiliser des mesures anti-dumping contre la
concurrence déloyale chinoise. »
Le débat juridique est incertain, mais de nombreux juristes
considèrent que l'Union européenne détient la possibilité de maintenir
l'application d'une méthodologie alternative de calcul du dumping chinois, même
après 2016, tant que la Chine ne respecte pas les cinq critères d'économie de
marché. C’est en tous cas, la position que va décider de tenir cette semaine le
Parlement européen lors du vote qui interviendra jeudi.
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